Incursion dans les laboratoires de chimie en compagnie de chercheur.ses de profession
« Le département de chimie de l’Université de Montréal compte parmi les cinq meilleurs départements de chimie au Canada, ce qui le place vraiment dans une position privilégiée », affirme André Charrette, qui en est le directeur. « Il a une très bonne réputation au niveau mondial. Il y a des chaires industrielles. Il y a cinq chercheurs qui ont des chaires du Canada. On est donc globalement très performants à tous les niveaux ».
« On arrive à faire des analyses soit pour des groupes de recherche, soit pour le privé. Donc ça nous permet d’avoir une bonne visibilité et une large palette de collaborations à Montréal et à l’extérieur de Montréal aussi », soutient Alexandra Furtos, spécialiste en spectrométrie de masse qui a notamment participé à un projet d’envergure en partenariat avec Santé Canada.
« Nous avons travaillé sur une très large palette de molécules. Il y a un grand groupe de synthèse de nouvelles molécules ici au département de chimie. Ce laboratoire a donc été mis en place pour répondre à ses besoins. Or, étant donné la nature du laboratoire et des instruments, plusieurs autres ont été intéressés à collaborer avec nous et, dans ce contexte, on a reçu il y a quelques années un appel de Santé Canada qui avait acquis des appareils de spectrométrie de masse haut de gamme et qui voulait avoir un coup de main pour l’implantation et la mise en œuvre de méthodes plus rapides, plus puissantes pour l’analyse des contrefaçons ».
Petit tour des laboratoires
L’équipe de Rétroviseur a eu la chance de pénétrer dans quelques-uns des grands laboratoires de recherche, dont certains sont à accès restreint.
André Charrette nous a notamment fait visiter un laboratoire de synthèse traditionnel. Il nous a montré l’environnement typique d’un.e chercheur.euse, qui comporte une hotte dans laquelle il travaille, l’évier où il fait sa vaisselle et des secteurs de purification de produits chimiques.
Ce type de laboratoire est muni d’appareils appelés HPLC pour la chromatographie en phase liquide à haute performance qui permet de quantifier la pureté d’un produit.
« On a un mélange de produits qui passe au travers d’une colonne qui sépare les produits. À la sortie de la colonne, on a un détecteur qui quantifie les produits qui sortent de cette colonne-là les uns par rapport aux autres », explique sommairement le chercheur.
Alexandra Furtos nous a quant à elle offert une visite guidée du laboratoire de spectrométrie de masse.
« On a différents types d’appareils dépendamment du type d’analyse qu’on veut effectuer », résume-t-elle. « On a des appareils avec lesquels on peut identifier de nouvelles molécules, ce qu’on appelle des analyses qualitatives. S’il y a une impureté par exemple, on peut l’identifier, savoir quelle est sa structure. Les autres appareils que l’on peut utiliser, ce sont plutôt des appareils de type quantitatifs dans lesquels on peut déterminer la concentration ou la quantité d’un certain composé dans des échantillons. Pour déterminer la concentration des substances actives, la concentration des impuretés, ou le processus de dégradation des médicaments, on va utiliser ce type d’appareil », explique-t-elle.
Dans la même veine, Sébastien Sauvé, chercheur en chimie environnementale, nous a enseigné le fonctionnement d’un robot échantillonneur :
« Il y a tous les échantillons. Et il va aller chercher chaque petit échantillon. Il y a différents réactifs, différentes réactions qui vont être prévues. On a tout le système de chromatographie qui va assurer la séparation de l’échantillon dans toutes les tubulures. Et on a le système de détection comme tel, qui est la spectrométrie de masse qui va permettre les analyses. »
Au moment où nous sommes passés, l’équipe de Sébastien Sauvé s’affairait à mesurer les toxines produites par les algues bleu-vert.
« Quand il y a un bloom d’algues, des fois elles peuvent produire des toxines qui peuvent être très toxiques », explique le chercheur. « Donc, ce qu’on est en train de mesurer, c’est différents échantillons qu’on a recueillis qui étaient plus ou moins exposés aux algues bleu-vert. On essaie de voir quelle est la concentration de toxines présente dans ces échantillons-là. L’exercice ici, c’est vraiment de bien calibrer nos appareils, bien étalonner, ensuite s’assurer que tout fonctionne bien et mesurer toutes nos séries d’échantillons. »
Comme il s’agit d’un gros projet, il y a énormément d’échantillons. « On n’arrête jamais vraiment parce que, même quand on n’a plus d’échantillons, on sait qu’il y en a tout plein qui s’en viennent. Donc, on continue de faire nos analyses de façon diligente, ce qu’on est en train de faire », poursuit-il, tout en attirant l’attention sur la quantité de réfrigérateurs et de congélateurs qu’il a dû acquérir. « On ne sait plus où mettre les échantillons ! »
En nous ouvrant la porte de son laboratoire, Joëlle Pelletier, chercheuse dont les travaux portent sur les enzymes, a pris soin de nous expliquer la raison de l’aspect plus épuré des lieux :
« Ce laboratoire a une apparence plus dégagée parce qu’il y a moins de hottes dans le labo. En fait, puisque nous travaillons avec des molécules biologiques, on travaille généralement dans l’eau. On utilise beaucoup moins de solvants toxiques, donc on a beaucoup moins besoin de hottes chimiques. Typiquement, on travaille sur la paillasse et ce avec quoi on travaille est soluble dans l’eau. Ça ne veut pas dire que c’est moins dangereux, parce qu’évidemment, il y a des composés avec lesquels on travaille qui sont bel et bien solubles dans l’eau, mais qui peuvent causer des mutations de l’ADN, par exemple. Donc, on doit quand même prendre des précautions, mais ça donne un aspect plus dégagé au laboratoire ».
Éric Dionne est un postdoctorant affilié au groupe de recherche de la professeure Antonella Badia, qui se spécialise dans les structures organiques ultraminces et membranaires. Il nous a fait découvrir un univers un peu différent :
« Parce que ces structures-là, très faciles à produire, sont activement utilisées ou, en tous cas, on espère qu’elles vont être intégrées dans d’autres dispositifs comme des censeurs, capteurs, etc. », explique-t-il. « Les professeurs qui sont plus du côté de l’analytique s’intéressent plutôt à la détection. Ils prennent un peu ce qui existe, ce qu’ils pensent qui peut marcher pour leur détection de protéines, ADN, etc. Nous, on n’a pas peur de se mouiller un peu, on va aller au cœur de ces structures-là. Ce qu’on utilise, c’est des méthodes électrochimiques pour avoir un signal électrochimique, donc un courant, et on fait des corrélations avec les changements que l’on fait. La professeure Badia est experte dans le domaine des monocouches. Ensuite, les gens qui sont plus dans la chimie analytique peuvent s’inspirer de nos recherches fondamentales pour eux-mêmes modifier ou optimiser leur propre système. »
Il nous a par ailleurs montré le fonctionnement du potentiostat, appareil dont il se sert pour prendre ces mesures électrochimiques :
« Il nous permet d’appliquer un potentiel électrique et de mesurer un output — dans notre cas c’est soit un courant, ou l’inverse. Avec un courant, on mesure un potentiel. Mais nous, on travaille plus en méthode potentiométrique ».
L’avenir au MIL
S’il se montre fier du département qu’il dirige, André Charrette n’en demeure pas moins conscient de ses limites actuelles :
« Le département de chimie de l’Université de Montréal est parmi les meilleurs départements en Amérique du Nord. Malheureusement, jusqu’en 2019, l’état des laboratoires, du moins en synthèse organique, n’était pas à la hauteur, si on veut, de la qualité des chercheurs qui sont ici », admet-il.
La migration vers le MIL va changer beaucoup de choses. Si l’Université de Montréal a mis tous les efforts pour assurer que les étudiant.es puissent travailler dans un milieu sécuritaire, il reste que pour quelqu’un comme lui qui a connu les laboratoires universitaires américains, c’était peu attrayant de revenir.
« Le fait de déménager au MIL va complètement renverser la vapeur. Là, c’est nous qui allons avoir les plus beaux labos au monde, si je peux dire. J’ai énormément hâte de déménager là-bas ! Premièrement, les chercheurs vont pouvoir travailler dans des labos complètement neufs, qui sont à la fine pointe de la nouvelle technologie. Un autre aspect qui va être substantiellement différent à ce qui se fait ici présentement, c’est que les bureaux des étudiants vont être à l’extérieur des laboratoires, ce qui est beaucoup plus sécuritaire pour eux. Ils vont être aussi être dans des espaces beaucoup plus vastes et dans lesquels les bureaux pourraient jusqu’à un certain point être partagés entre plusieurs groupes, ce qui va vraiment améliorer les interactions. C’est un aspect qui va être des plus importants. C’est qu’ici, la plupart des groupes de recherche sont concentrés dans un espace unique, c’est-à-dire qu’ils ne partagent pas avec personne. Une fois rendus là-bas, les laboratoires communs vont être beaucoup plus nombreux. Et ça devrait vraiment favoriser les interactions et les échanges entre les groupes de recherche et les étudiants », conclut André Charette avec optimisme.