Dans les pas du frère Marie-Victorin : à la découverte de l’histoire du département de sciences biologiques
L’histoire du département de sciences biologiques débute avec le frère Marie-Victorin. Le professeur Pierre Brunel nous a transmis l’histoire de ce botaniste, collègue de son père et ami de la famille.
« Marie-Victorin a appris la botanique en autodidacte », explique M. Brunet. Ayant souffert de la tuberculose, le frère s’adonnait à des promenades en nature lors de sa convalescence. Il se plaisait ainsi à identifier les plantes qu’il rencontrait à l’aide d’anciens documents du 19e siècle. Son intérêt l’a mené à communiquer avec des chercheurs canadiens, principalement anglophones, dans le but d’identifier ces plantes. Rapidement, ses recherches l’ont entraîné à publier des articles scientifiques dans des revues québécoises et éventuellement dans des revues canadiennes-anglaises et américaines. Aussi a-t-il acquis une réputation de botaniste compétent, tout en respectant sa profession religieuse.
Ayant fait vœux de pauvreté et de chasteté, il a demandé exceptionnellement à sa communauté de pouvoir accepter un héritage familial. Il souhaitait en effet se procurer une automobile à des fins de recherche. Cette voiture qu’il a obtenue a permis à Marie-Victorin d’aller herboriser partout dans la province québécoise et éventuellement de publier sa grande Flore laurentienne. Jules Brunel, le père de Pierre Brunel, a d’ailleurs rédigé un chapitre dans cette monographie au succès international.
En 1920, l’Université de Montréal invite le père Marie-Victorin à former l’Institut Botanique, qui voit le jour en 1921. La Faculté des sciences est fondée cette même année. La création de cet Institut ne marque donc pas seulement les débuts du département de biologie, mais également les premières initiatives en sciences naturelles à l’UdeM. Au cours de ces mêmes années des plus fertiles pour le frère Marie-Victorin, ce dernier soutient sa thèse sur les fougères du Québec, obtenant l’un des premiers doctorats décernés par l’Université de Montréal.
En 1939, l’Institut botanique déménage hors des murs de l’UdeM pour constituer le Jardin botanique de Montréal. Cet événement se traduit aujourd’hui par des relations privilégiées entre le Jardin botanique et l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal. Tous les deux font presque unité en ce qui a trait à la recherche. Le fameux Herbier du frère Marie-Victorin est d’ailleurs conservé au Centre sur la biodiversité de l’Université de Montréal, situé au Jardin botanique.
Tous et toutes s’accordent aujourd’hui pour reconnaître l’héritage du frère Marie-Victorin. Être l’héritier de ce grand homme suscite pour le département de biologie un sentiment de grande fierté.
Un autre pôle important de l’histoire du département de sciences biologiques concerne Georges Préfontaine. Homme d’un charisme important, tout comme le frère Marie-Victorin, il part étudier à l’étranger après avoir complété des études en médecine. Il fréquente alors les meilleurs universités françaises et américaines, où il découvre des stations de biologie très avancées pour l’époque. S’il a été professeur de biologie de 1927 à 1948 à l’Université de Montréal, son plus grand accomplissement demeure l’Institut de zoologie, qu’il a créé en 1938 avec son collègue Henri Prat, autre très grand biologiste de l’époque. Georges Préfontaine fut directeur du département de biologie de 1935 à 1948, après Louis-Janvier Dalbis, premier à occuper ce poste. La botanique et la biologie ont longtemps évolué séparément. Ce n’est qu’en 1963 que l’Institut de biologie et l’Institut de zoologie fusionnent pour former le département de biologie tel qu’il est aujourd’hui.
Le professeur Pierre Brunel nous a aussi raconté l’histoire de son propre père, Jules. Ce dernier a enseigné la biologie à l’Université de Montréal, travaillant en collaboration avec le frère Marie-Victorin, à la fois son ami et son maître. M. Jules Brunel s’est spécialisé en algues microscopiques d’eaux douces. Le père et le fils ont partagé une passion pour la biologie marine : « Chaque été, toute la famille partait en vacances à la campagne et récoltait des algues sur le bord de l’eau », se remémore Pierre Brunel. Le père Brunel a notamment laissé derrière lui une importante collection d’algues marines du Québec, dont son fils a assuré la conservation. Son père était d’abord un taxonomiste, qui étudiait la classification des algues, alors que lui est davantage un écologiste. « C’est de lui dont je tiens mon intérêt pour les sciences naturelles », dit-il.
Chaque été, toute la famille partait en vacances à la campagne et récoltait des algues sur le bord de l’eau.
Pierre Brunel, professeur honoraire
Pour sa part, Pierre Brunel est professeur retraité du département depuis l’an 2000. Il y a été enseignant et chercheur pendant trente-quatre ans. Auparavant, il travaillait au département des pêcheries du gouvernement du Québec. Il a découvert la biologie et l’écologie marine directement auprès des pêcheurs, sur le terrain. En arrivant au département en 1966, il savait qu’il y serait le seul spécialiste des sciences de la mer, les autres travaillant plutôt à l’Université Laval. Il a ainsi permis aux étudiant.es de l’Université de Montréal d’être exposés dès le premier cycle à la biologie et à l’écologie marine. Seul spécialiste dans ce domaine, il a enseigné à des classes considérables.
Avec les chercheurs de l’Université Laval, d’anciens collègues du département des pêcheries, il a fondé en 1970 le GIROQ (Groupe interuniversitaire de recherche océanographique du Québec). LE GIROQ, qui existe encore sous le nom de Québec océans, est à ce jour l’un des plus importants centres de recherche au Québec. Il navigue aujourd’hui sur les eaux internationales, notamment en Arctique.
Aux côtés de ces grands chercheurs se trouvent aussi des femmes qui ont fait leur place au département de biologie. Bernadette Pinel Alloul a été la première femme à y être engagée. Il faudra dix ans pour que d’autres femmes la rejoignent. Avec les années, il y a de plus en plus de femmes au département, qui a fait un effort significatif pour les recruter. « À dossier équivalent, on essaie de prioriser leur embauche », nous explique-t-elle.
Le lendemain même de mon arrivée, j’étais déjà en train de travailler sur le bord du lac Saint-Louis. Je ramassais des mollusques alors que je ne savais même pas encore ce que j’allais vraiment faire ici.
Bernadette Pinel Alloul, professeure émérite
Elle nous raconte aussi qu’au cours de ses premières années d’enseignement, les professeur.es avaient leur bureau au sein des laboratoires, ce qui leur permettait d’être couramment auprès de leurs étudiant.es qui y travaillaient. Pour des raisons de sécurité, les bureaux ont par la suite été installés à l’extérieur des laboratoires, mettant fin à ce contact très direct entre étudiant.es et professeur.es. Pour l’enseignement, il n’y avait qu’une seule salle de cours. Ce n’est qu’à partir des années 1990, et surtout dans les années 2000, que les grands amphithéâtres ont été créés.
Professeure au département depuis quarante-deux ans, Bernadette Pinel Alloul est formée dans le domaine de l’écologie aquatique. Arrivée de France, elle a complété une maîtrise et un doctorat à l’Université de Montréal. En 1989, elle a fondé un groupe de recherche interuniversitaire (UdeM, McGill, UQAM, et UQTR) en limnologie et en environnement aquatique, groupe qui compte maintenant plus de quarante professeur.es et deux cents étudiant.es. C’est un groupe de recherche important, reconnu au niveau national et international, nous explique la professeure. Directrice du groupe de recherche de 1989 à 1999, elle le considère comme le succès de sa carrière.
« J’ai commencé dans un laboratoire d’abord comme étudiante. Mon premier laboratoire se consacrait à l’étude des rivières et des lacs québécois, et était dirigé par Étienne Magnin. Quand je suis arrivée pour la première fois au Québec en 1967, je suis allée voir ce qui se faisait au département de biologie de l’Université de Montréal. J’ai alors rencontré M. Magnin, qui m’a dit : « si tu viens l’année prochaine, je te prends comme étudiante à la maîtrise ». Lorsque je suis donc revenue l’année suivante, le lendemain même de mon arrivée, j’étais déjà en train de travailler sur le bord du lac Saint-Louis. Je ramassais des mollusques alors que je ne savais même pas encore ce que j’allais vraiment faire ici. Il y a eu une atmosphère extraordinaire dans le groupe de recherche », raconte-t-elle le sourire aux lèvres. Bernadette Pinel Alloul nous a aussi raconté avoir réalisé ces études supérieures tout en ayant simultanément ses enfants : elle offre aujourd’hui un grand modèle pour les jeunes biologistes !